Des tripes, une tête et du coeur
Pleurer, mille fois
L'article de Ziyad MAKHOUL
Sorties de leur contexte, désincarnées, ces énièmes larmes de Fouad Siniora pourraient effectivement faire un peu guimauve, stérile sensiblerie, mauviette dépassée par les événements. Fouad Siniora pleure : sur les enfants déchiquetés ; sur le pays mutilé ; sur son si cher Rafic encore une fois, deux fois, cinq fois assassiné ; sur cet aéroport et ces ponts détruits et qui ont fini de désassembler l’exception libanaise ; sur cet exodus infini, ces Libanais qui n’ont plus de toit ; sur tout ce temps perdu, peut-être irratrapable, pendant lequel il répétait, inlassablement, à Hassan Nasrallah et ses alliés ce qu’il fallait faire pour éviter ça, pour éviter la délibanisation d’un Liban ultrafragile ; il pleure sur la désormais célèbre duperie autour de la table à Quatorze ; sur cette occasion en or offerte si gracieusement aux généraux israéliens ; il pleure, parce que les 15 000 soldats libanais, cela fait au moins six ans qu’ils auraient dû aller là-bas, au Sud ; il pleure parce que cette urgence est tellement délicate : quels contingents envoyer ?... ; il pleure sur tout ce could have been parti en fumée quelques heures à peine après que le Hezb a eu cette brillante, cette si prétentieuse idée d’aller provoquer, sur son territoire, la quatrième armée du monde, la première en termes d’inhumanité. Il pleure pour et avec les Libanais.
Sauf que chacune des larmes de cet anti-zaïm par excellence, de ce néo-homme d’État comme seul les technocrates peuvent l’être, chacune d’entre elles précède ou suit un engagement de chaque minute à faire, aux antipodes des fantasmes américains, aux antipodes des besoins d’apocalypse du tandem irano-syrien, la paix – durable. Pérenne. De ces larmes partagées avec le monde, même un peu honteusement, Fouad Siniora tire toute cette force dont n’importe quelle machine aurait eu besoin pour : tenir tête aux Israéliens, aux Américains, aux Iraniens, aux Syriens, au Hezbollah ; convaincre les autres, Français en tête, des incontournables nécessités de la réalité libanaise ; résoudre cette perverse et vitale équation, dont même le plus joueur, le plus retors des mathématiciens ne voudrait pas : comment asseoir à tout jamais, à tous les niveaux, la seule autorité de l’État, tout en évitant le moindre des clashes intercommunautaires ? Alors, cet homme, tant qu’il se tue à la tâche, tant qu’il résiste, eh bien qu’il pleure, rit, sue ou éructe tant qu’il veut. Et il séchera ses larmes s’il le veut. Quand il le voudra.
Au choix des armes d’Israël et du Hezbollah, Fouad Siniora propose ces larmes-là, les siennes ; instruments de vie, outils politiques bien plus efficaces, bien plus féconds, lorsqu’il s’agit de prendre des décisions et de poser des actes dont dépend l’avenir de la région – et ces larmes-là, l’histoire les retiendra un jour. Seules. Dans leur majorité, Tzipi Livni, les Libanais n’ont pas seulement des tripes et une tête : ils ont aussi du cœur. Et avec un peu de cœur, même la reine des dindes devient moins sotte. Moins antipathique.
Ziyad MAKHOUL
P.S. : Visiblement, la politique-pétasse tente même ceux qui ont prouvé, à de nombreuses reprises, leur talent, leur génie même. Jack Lang, en visite spontanée chez Bachar el-Assad, est une gifle autoassénée à son intelligence. Il dit : Je suis un Petit Poucet venu apporter mon petit caillou blanc pour la paix. Petit Poucet ? Grand dadais, plutôt.