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9 août 2006

La rage aux yeux *

L'éditorial de Issa GORAIEB

La rage aux yeux

Tzipi Livni, qui presse Fouad Siniora de sécher ses larmes et de commencer à agir, ferait bien de garder pour elle sa fausse compassion : laquelle n’est en réalité que très authentique cynisme, agrémenté d’une sérieuse dose de stupidité. Ces larmes-là, le gouvernement assassin dont elle fait partie était-il seulement capable de les comprendre, d’ailleurs ?

Car elles n’exprimaient pas seulement en effet la détresse des populations terrorisées, martyrisées, de Palestine et du Liban : frustes cris de douleur pure qui n’ont jamais retenu ne serait-ce que l’attention d’Israël. Elles coulaient de plus loin encore, ces larmes de rage impuissante que n’a pu réprimer le Premier ministre libanais alors qu’il s’adressait lundi au sous-sommet arabe réuni d’urgence à Beyrouth : rage contre le colossal gâchis provoqué par l’aventure et dont il faut maintenant tirer toutes les leçons, rage contre l’entreprise de destruction scientifique lancée contre le modèle libanais, rage contre les puissances qui ont laissé faire. Mais rage aussi contre les leçons d’arabisme que d’aucuns s’obstinent à administrer au pays arabe qui aura le plus donné pour la cause commune ; rage contre la collusion objective entre invasions des uns et tutelles des autres ; rage contre tous ces joueurs régionaux qui de notre pays ont fait une commode arène, et qui se jouent finalement du sang des Libanais. Pathétique, c’est bien vrai, mais à aucun moment pitoyable était cet extraordinaire Fouad Siniora que l’on voit se démener comme nul autre pour sauver le pays. Et qui, en sus de l’estime que lui portaient les Libanais, vient de s’assurer leur affection émue. Émue, eh oui, Madame Livni.

Par deux fois ce lundi-là, le chef du gouvernement s’est montré à la hauteur de l’évènement. D’une part en effet, les États arabes sont sortis de leur longue léthargie pour endosser à l’unanimité son plan en sept points pour le règlement de la crise. Depuis hier, une délégation express de la Ligue défend les amendements du projet de résolution franco-américain réclamés par Beyrouth et les exigences libanaises n’en acquièrent que plus de poids aux yeux des puissances occidentales, quand s’y associent des alliés aussi précieux que l’Égypte et l’Arabie saoudite. De son côté, la Russie, hier encore favorable au projet franco-US, s’est ravisée de la plus explicite des manières.
Mais c’est surtout la décision du Conseil des ministres, adoptée à l’unanimité elle aussi, de déployer 15 000 hommes de troupe au Liban-Sud qui a fait sensation, et qui fera date. Fait politique très important, a aussitôt réagi la France. Intéressant, a commenté la Maison-Blanche, faisant écho à Ehud Olmert. Ce qui, pour nous Libanais, est intéressant, c’est précisément... tout cet intérêt que suscite, à juste titre, une initiative étatique intelligente, sensée, responsable, et que l’on attendait depuis des années. Fallait-il donc absolument la ruine du Liban pour que l’on y vienne enfin ?

Depuis la fin des années soixante, depuis que l’État n’est plus maître du Sud, le pays a noué avec une cascade de malheurs, de guerres civiles, de guerres tout court, d’invasions. Cette vocation suicidaire, on s’est ingénié à la perpétuer après la miraculeuse libération de l’an 2000, ce qui ne rendait la démarche que plus impardonnable encore. Par inconscience, par faux calcul ou bien au nom d’une solidarité avec la Syrie qui jamais n’a été payée de retour, on a placé le pays sur une trajectoire menant inévitablement, tôt ou tard, à la catastrophe. On a décrété qu’un État libanais cédant le Sud à la Résistance, un État reniant ses responsabilités envers le sol et les gens, un État démissionnaire était un État normal. Et à cette fin, on a usé des arguments les plus insensés, des inepties du genre : la force étatique est bel et bien présente là-bas, même si elle ne se fait pas trop voyante ; dépêcher l’armée à la frontière, ce serait protéger la sécurité de l’ennemi ; en situation de guerre, la place de l’armée c’est l’arrière. Et l’on en passe...

L’armée volontaire enfin pour le Sud, où elle devra nécessairement être assistée d’une force de l’ONU, c’est là un de ces signes de maturité que finissent par commander les grandes douleurs. Le monde ne s’y est pas trompé qui, à l’évidence, en tient sérieusement compte, même si cela doit retarder le vote salvateur à l’ONU et prolonger d’autant les souffrances que nous inflige la barbarie israélienne. Ne nous y trompons pas nous-mêmes, et par-dessus cessons de nous tromper les uns les autres. Le pays a largement payé son écot et le temps n’est définitivement plus aux unanimités de façade, aux consensus purement tactiques, régulièrement remis en question.

Issa GORAIEB

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