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Liban - Loubnan - Lebanon
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3 août 2006

"Rasage de villes" par Jean Daniel

L'éditorial de Jean Daniel

Israël dans le piège iranien
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Ne se consolant pas, à juste titre, de la décision d'Israël de bombarder tout le Liban - sans éviter le massacre des civils -, certains affirment que les Israéliens, hélas, ne pouvaient rien faire d'autre. Réponse : ce qu'ils pouvaient faire, ils viennent précisément de le décider, mais trop tard - suspendre, en tout cas provisoirement, les bombardements.
Supposons en effet qu'après l'enlèvement de deux soldats par le Hezbollah, les Israéliens aient procédé à une riposte dont pratiquement personne, même parmi les Arabes, ne leur aurait contesté le droit. Supposons qu'ils aient exécuté cette riposte en un seul jour ou en deux au maximum et de manière écrasante. Qu'ils se soient retournés ensuite vers l'opinion publique mondiale, l'Otan, l'Union européenne, le Conseil de Sécurité, et qu'ils aient tenu ce langage : « Voilà des années qu'aucun d'entre vous n'arrive à faire appliquer la résolution 1559 destinée à désarmer les milices du Hezbollah. Vous, vous pouvez attendre. Mais après l'agression du Hezbollah, ce n'est pas notre cas. Et ce que vous tardez à faire, nous sommes obligés de l'imposer. » Cet avertissement israélien en forme d'ultimatum sécuritaire aurait été pris nécessairement au sérieux. En tout cas, le monde se serait senti en dette à l'égard d'un Etat qui ne serait pas passé directement du statut d'agressé à celui d'agresseur.

Pourquoi toutes ces suppositions deviennent-elles insensées lorsqu'on les évoque aujourd'hui ? D'abord, parce que les Israéliens ne comptent jamais que sur eux-mêmes et qu'ils étaient persuadés de pouvoir atteindre rapidement leurs objectifs. Ensuite, parce qu'ils n'avaient aucune envie de retarder une opération longuement préméditée, avec l'appui et la caution des Etats-Unis.
A quel moment est apparue l'évidence de cette connivence ? Le jour où George Bush s'est contenté de dire des Israéliens qu'ils avaient le droit de se défendre, sans y ajouter la moindre réserve, alors qu'il savait - lui, pas nous - qu'il ne s'agissait pas pour Israël de riposter à une provocation mais de procéder à une « éradication » entraînant une invasion et une occupation. Le jour aussi où, à la conférence de Rome, Condoleezza Rice a obtenu que l'on remplace l'injonction de cessez-le-feu immédiat par le simple souhait d'une solution urgente. Le jour enfin où, au Conseil de Sécurité, il est devenu clair que les Etats-Unis voulaient faire durer les discussions et affadir les résolutions pour donner aux Israéliens le temps d'en finir au Liban avec le Hezbollah. Chaque fois, on a compris que le conflit se prolongerait, dramatique pour tous, si la résistance du Hezbollah offrait les mêmes surprises que celle des Irakiens et des Afghans. On ne s'attendait pas, en tout cas, à une série de ralliements spectaculaires au cheikh Hassan Nasrallah, nouvelle figure charismatique, entre Nasser et Ben Laden.
Pendant les trois premiers jours qui ont suivi le début de la riposte israélienne, les Etats arabes, en effet, n'avaient pas bougé, à l'exception de l'Algérie et de la Syrie. Davantage : les alliés sunnites (Arabie Saoudite, Jordanie, Egypte) étaient allés jusqu'à dénoncer «l'aventurisme irresponsable du Hezbollah». Quelques jours plus tard, l'« éradication » se traduisant au Liban par des désastres et le rasage de villes, l'épopée de la résistance du Hezbollah contre Tsahal est devenue si irrésistiblement contagieuse que, sous l'énorme pression des opinions publiques arabes, les autorités religieuses d'abord, les politiques ensuite (même à Riyad !) ont condamné Israël et se sont déclarés solidaires du « peuple » libanais, le Hezbollah étant devenu soudain la seule expression du peuple. Mieux encore, le bras droit de Ben Laden, le sunnite Ayman al-Zawahiri, qui soutient en Irak une guerre civile contre les chiites, n'a pas hésité à se rallier à une mobilisation idéologique et affective devenue soudain assez puissante pour transformer en traîtres tous ceux qui n'y adhéraient pas.

Dans tout le monde musulman, on s'est alors incliné devant le Hezbollah, qui, après s'être targué (un peu rapidement) d'avoir bouté les Israéliens hors de la patrie libanaise en 2000, se révèle aujourd'hui capable de résister si efficacement et si longtemps à l'une des meilleures armées du monde.
Ainsi, faute d'avoir su vaincre à temps ou de s'être arrêtés dès le moment où cela s'imposait, les Israéliens ont transformé leurs ennemis en héros. Les victimes d'Israël, hier encore si divisées, se sont unies dans le deuil et la révolte. On sait maintenant, l'hystérie nationaliste et mystique s'étant installée, que, si des combattants du Hezbollah tombent, d'autres les remplaceront, et que l'ambition « éradicatrice » était démente. Car ces héros se sont imposés au nom d'un nouvel islam en marche, celui du cheikh Hassan Nasrallah, et grâce à la tutelle d'une très grande puissance, l'Iran, qui marque ainsi son retour sur la scène internationale. Avec le risque que les Iraniens se dotent de la bombe atomique et qu'ils en fassent profiter leurs alliés.
Ce qu'il y a de plus singulier dans cette histoire, c'est que les Israéliens, pourtant les mieux informés de leur région, ont fait la même erreur au Liban que les Américains en Irak : surestimation des effets psychologiques des bombardements, sousestimation des tactiques terroristes de leurs adversaires et projet de remplacer, grâce à des opposants trouvés sur place, un mauvais gouvernement par des hommes à leur solde. Surtout, surtout, comme les Américains au moment de la guerre d'Irak, ils ne se sont pas souciés de ménager les Libanais parce qu'ils pensaient que chacun d'entre eux, par peur du Hezbollah et par respect pour la force, ne demanderait qu'à rejoindre un Israël vainqueur.
Certains Israéliens craignent aujourd'hui, à juste titre, que le Hezbollah ne paraisse sortir victorieux de n'importe quel arrangement international. Il faudrait en effet être aveugle pour ne pas se rendre compte qu'une certaine victoire du Hezbollah est déjà acquise, et que c'est le basculement de tout le monde arabe modéré qui menace aujourd'hui : le ralliement des sunnites au combat du Hezbollah chiite annonce la promotion de son tuteur iranien au statut de grande puissance régionale.
Il ne manque pas à Washington de stratèges ayant une vision internationale. L'islamisme radical né avec la révolution de Khomeini en 1979 et avec l'invasion de l'Afghanistan par les Soviétiques a pris une dimension tragique pendant la guerre civile algérienne des années 1980-1990. Mais à ce moment-là, personne ne pensait plus à ce conflit palestinien qui demeurait une blessure au coeur de chaque Arabe. Comme si les victoires militaires d'Israël avaient porté à son paroxysme l'humiliation infligée à tout le monde arabe par les colonisateurs français, britanniques et autres. Maxime Rodinson a bien expliqué en quoi consistait le « refus arabe » de l'existence d'Israël.

Cette blessure commençait à se relativiser, en tout cas à s'apaiser sinon à se cicatriser, lorsque l'arabisme impuissant a cédé la place à l'islamisme en marche. Le coup de génie - si l'on peut dire - du président iranien Mahmoud Ahmadinejad a été de réveiller la blessure palestinienne en caracolant dans la surenchère et en déclarant qu'il fallait «rayer Israël de la carte». Pour cela, il s'est donné le triple objectif de défier les Américains en se dotant de l'arme nucléaire, de tenter d'établir une hégémonie musulmane chiite sur le monde arabe et de créer des foyers insurrectionnels permanents entre les alliés de la Palestine et les alliés d'Israël.
Le Hezbollah est probablement le foyer insurrectionnel le plus précieux pour l'Iran. Israël a présumé de ses forces en estimant qu'il pouvait rapidement en finir avec le Hezbollah et il est dramatiquement tombé dans le piège iranien. Jacques Chirac, en rappelant que la nation iranienne était héritière d'une «grande civilisation» et qu'elle avait droit à intervenir dans les affaires de la région et du monde, a non seulement montré qu'il comprenait les enjeux mais procédé à une véritable ouverture : en fait, un appel au dialogue sur tous les problèmes de la région.

Les choses en étant arrivées là, même les plus autistes des Américains, redoutant tout de même d'ajouter à l'Irak et à l'Afghanistan un troisième front libanais, devraient comprendre qu'il convient de persuader Israël de cesser le feu immédiatement. Cela dit, les Israéliens ont évidemment et parfaitement le droit d'exiger toutes les garanties pour assurer leur sécurité. Notamment en réclamant l'installation d'une force internationale de véritable interposition sur une zone de sécurité située en territoire libanais, mais peut-être aussi israélien. L'« éradication » n'aura pas eu lieu, comme le souhaitaient les jeunes Israéliens remplis d'illusions et d'allégresse vindicative mais qui, eux aussi, étaient prêts à mourir pour la victoire de leur patrie. Néanmoins la puissance de tir et de nuire du Hezbollah aura été passablement affaiblie.
Cela dit, à travers toutes les analyses et les déclarations, il semble que tout le monde, partout, comprenne que sans le règlement du conflit israélo-palestinien tout recommencera vite comme avant. Avec cette différence que, désormais, des millions d'Arabes et de musulmans se sentent directement concernés. Et que le sionisme, né en partie pour fuir l'antisémitisme européen, l'aura fait renaître avec un visage non plus chrétien mais musulman. On espère qu'il faudra moins de deux mille ans pour qu'il disparaisse.


Jean Daniel

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Commentaires
L
Olmert est dépassé par la situation. Ce sont les militaires qui ont le pouvoir. <br /> Olmert a à résoudre un dilemne; homme civil comment peut - il s'imposer face au commandement militaire?<br /> Voila la réponse, horrible et inhumaine. La barbarie made in 2006.
K
Enfin, une analyse sensée de la situation née de la bêtise de OLMERDE et consorts, en voulant à tout prix eratiquer un mouvement né de la douleur des femmes de la région. Pour que le peuple juif trouve la paix avec ces cousins bibliques, il doit revenir à la raison et admettre que chaque être humain à droit à l'existence.Ce qu'il veut imposer par la force, il doit se l'imposer à lui même.
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