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Liban - Loubnan - Lebanon
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2 août 2006

Israel - Iran : le conflit

Israël en conflit indirect avec l'Iran, par Alain Frachon
LE MONDE | 01.08.06 | 13h18  •  Mis à jour le 01.08.06 | 14h25
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Vue d'Israël, la guerre contre le Hezbollah libanais ressemble aux prémices d'un conflit indirect, mais fondamental, avec l'Iran. Elle n'est pas seulement la réponse à l'enlèvement de deux soldats israéliens par la milice extrémiste chiite ; pas seulement une bataille pour empêcher que les miliciens du Parti de Dieu continuent à tirer des missiles de l'autre côté de la frontière ; pas seulement une épreuve de force décidée pour rétablir, aux dépens du pays du Cèdre, un pouvoir de dissuasion que l'armée israélienne estime avoir perdu à la suite des retraits du Liban (printemps 2000) et de Gaza (été 2005).

Derrière la guerre déclarée au Hezbollah, il y a un objectif stratégique plus large : en frappant un groupe que les Israéliens qualifient de bras armé de l'Iran au Proche-Orient, Jérusalem entend interdire à la République islamique de s'imposer comme partie prenante dans le conflit israélo-arabe.

Telle est l'impression qui ressort d'une série d'entretiens avec des responsables politiques et des experts israéliens organisés pour des journalistes européens par le gouvernement de Jérusalem. Le message est, parfois, formulé pour répondre à la critique dont Israël est l'objet : la " disproportionnalité" de sa réplique au double enlèvement du 12 juillet.

Les représailles aux provocations du Hezbollah justifient-elles le nombre des morts civils au Liban et la destruction de tant d'infrastructures civiles dans ce pays - routes, autoroutes, stations-service, centrales électriques, usines, centaines d'immeubles, aéroport, etc. ? La question est détournée, suscitant la réponse suivante : l'ampleur des destructions au Liban doit être appréciée à l'aune du véritable enjeu. L'argument vaut ce qu'il vaut.

Plus sérieusement, Ze'ev Schiff, l'un des commentateurs militaires les plus respectés du pays, écrivait la semaine dernière dans le quotidien Haaretz (centre gauche) : "La bataille en cours au Liban va déterminer la place de l'Iran au Proche-Orient."

Une défaite du Hezbollah (Parti de Dieu) est une défaite pour son créateur et son protecteur iranien. Les Israéliens n'ignorent pas que le Parti de Dieu est une formation solidement ancrée dans la réalité libanaise ; ils savent qu'une majorité des chiites du Liban se reconnaît dans cette formation. Elle ne disparaîtra pas sous l'assaut.

Mais les Israéliens observent que le Hezbollah, dont l'idéologie prône la disparition pure et simple d'Israël, est intrinsèquement lié à la République islamique. Le Hezbollah recevrait, chaque année, quelque 100 millions de dollars d'aide militaire, dont des équipements les plus sophistiqués ; ses cadres et ses miliciens sont entraînés par un détachement des Gardiens de la révolution iraniens, ouvertement installé dans l'est du Liban ; les missiles qui fondent sur les villes israéliennes sont de provenance iranienne ou syrienne ; nombre de chiites libanais font allégeance au chef suprême de la République islamique, l'ayatollah Ali Khamenei.

Cette république n'est pas n'importe quel régime. Il s'agit d'un régime désireux d'acquérir l'arme nucléaire et dont le président, Mahmoud Ahmadinejad, proclame son désir de rayer Israël de la carte. Au Proche-Orient, l'histoire enseigne que les uns et les autres font en général ce qu'ils disent, de Gamal Abdel Nasser à Ariel Sharon...

Personnalité vedette de la vie politique israélienne, Tzippi Livni, la ministre des affaires étrangères, voit le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, comme un porte-parole de la politique iranienne dans la région. Téhéran affiche volontiers ses objectifs : refus de toute solution négociée dans le conflit israélo-palestinien et donc volonté d'en torpiller la moindre esquisse ; conviction qu'Israël doit un jour disparaître de la région et, en conséquence, que la création d'un Etat palestinien à ses côtés relève du défaitisme.

Pas question, dit Mme Livni, de laisser l'Iran révolutionnaire, et ses alliés d'un nouveau front du refus - la Syrie et le Hamas palestinien - devenir une force ascendante au Proche-Orient. Pour les Israéliens, cela passe par une défaite du Hezbollah - claire et nette même si elle n'est que partielle - dans la guerre en cours au Liban.

Depuis le retrait de l'armée israélienne, en mai 2000, sur une ligne frontalière fixée par l'ONU, il n'y a plus de contentieux entre le Liban et l'Etat juif. A quoi étaient donc destinés les quelque 17 000 missiles accumulés par le Hezbollah au Liban ?

A assurer ainsi, dit-on à Jérusalem, une présence iranienne, militaire et politique, dans la région. Objectifs supposés de la République islamique : exercer une influence sur le conflit israélo-arabe, dans un sens bien particulier ; répliquer sur Israël à la moindre attaque contre l'Iran.

Nombre d'Etats arabes pensent comme les dirigeants de Jérusalem. Et, pour la première fois, ils le disent tout haut. L'Egypte, l'Arabie saoudite, la Jordanie, et plusieurs Etats du Golfe ont publiquement dénoncé l'irresponsabilité du Parti de Dieu dans le double enlèvement du 12 juillet.

Et ces pays souhaitent aussi que le Hezbollah ne sorte pas vainqueur de la nouvelle guerre libanaise. Mais ils sont à contre-courant de leurs administrés, d'une opinion arabe largement acquise au Parti de Dieu, et qui l'est un peu plus à chaque bombardement sur le Liban, à chaque image de civils libanais tués, blessés, terrorisés.

Hassan Nasrallah est en passe de devenir l'un des héros de la rue arabe, territoires palestiniens compris ; l'un de ces messies qui, à la façon de Nasser dans les années 1960 puis de Saddam Hussein en 1990-1991, promettent à intervalle régulier de venger "l'humiliation" des Arabes et de débarrasser les Palestiniens d'Israël, et confortent les illusions et le malheur de ces derniers...

La popularité du chef du Hezbollah n'est pas de nature à rassurer des élites arabes majoritairement sunnites. Au-delà, elles voient confirmée leur crainte de la remontée en puissance d'un Iran qu'elles avaient cru assagi. La présidence Ahmadinejad sonne le réveil de ce mélange détonnant - ultranationalisme et messianisme chiite - qui est le carburant de la révolution iranienne.

Au Caire, à Riyad, à Amman, on redoute la formation d'un "croissant chiite" radical qui part de Téhéran, passe par Beyrouth (avec le Hezbollah) et Bagdad. La chute de Saddam Hussein a libéré un pouvoir chiite irakien souvent proche, très proche du régime iranien. Le rôle que ce "croissant chiite" sera amené à avoir se joue en partie dans cette énième guerre du Liban.

Fondée ou non, cette analyse stratégique est l'un des éléments qui commandera une décision-clé de la part d'Israël : quand accepter un cessez-le-feu ?

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